Je peux enfin vous livrer mon impression sur le premier roman lu dans le cadre des Lectrices Charleston ! Il est écrit depuis un moment maintenant mais je ne pouvais le partager avant la sortir. Pachinko de Min Jin Lee sort aujourd’hui en librairie et j’espère que ma chronique vous donnera envie de le découvrir …
Un roman qui commence comme un conte où le lecteur se laisse mener au fil de l’eau et des tourbillons dans la vie d’un homme Hoonie, au physique peu avenant, en quête par le biais de la matriarche, d’une femme qui accepterait malgré tout de l’épouser. Nous sommes au début des années 1910 et c’est en Corée que cette frise familiale débute, une histoire de famille, une chronologie sur près de 600 pages laissant filer les années, les naissances, les abandons, les décès, les batailles, les surprises, les peurs, les non-dits, les disputes, les amours déchus, les amitiés naissantes et les drames.
Hoonie et Yangjin laissent derrière eux une unique fille, Sunja, et c’est par elle que le roman respire. Elle est la voix de Pachinko, tantôt elle nous apparait tonitruante de force, de ferveur, de passion, de rigueur, tantôt elle n’est qu’un murmure en filigrane, le murmure tranquille et sage d’un pilier qui veille sur une famille qui se créée, se construit, une famille en devenir. Pachinko, c’est le parcours de femmes à travers le regard de Sunja. C’est le parcours de celle qui croit au grand amour mais lui préfère l’honneur. C’est l’histoire d’une femme qui souhaite travailler contre l’avis de son mari. C’est l’histoire d’une mère qui préfère embrasser sa fille pour la dernière fois et la laisser partir pour un avenir meilleur. C’est l’histoire d’une femme battue, de celle qui ne peut pas enfanter ou encore d’une autre à l’insouciance ternie par l’orgueil.
Il faut faire preuve d’une grande bravoure pour vivre chaque jour en présence de ceux qui refusent de reconnaître ton individualité.
Des femmes comme passerelles de l’histoire des hommes. « Derrière chaque grand homme, se cache une femme », une citation qui s’applique parfaitement à Pachinko. Dans cette généalogie écrite sur un peu plus de 80 ans, les fils, les maris, les amants, les pères se succèdent et ne se ressemblent pas. Tous ont eu un lien plus ou moins étroit avec Sunja, mais elle aura marqué leur vie. Le lecteur s’attache à ce personnage qui, par sa discrétion et son courage, laisse une douce empreinte dans les esprits. De jeune femme chétive à grand-mère investie, protectrice et aimante, nous ne la quittons pas des yeux, nous avons à cœur de suivre son destin.
A travers ces quotidiens de femmes qui gravitent autour de Sunja, il est aussi question d’histoires culturelles, de conflits entre deux pays, la Corée et le Japon et d’un peuple prêt à renier ses origines pour faire partie du second. Jusqu’à quel point est-on capable d’oublier sa propre culture, ses propres traditions, ses propres ancêtres pour rentrer dans un moule, se faire accepter et respecter ? Dans l’écriture de Min Jin Lee, on ressent la culture du geste lent et précis, du geste presque méditatif, de la satisfaction du peu, de la richesse du rien. On entend presque les petits pas feutrés de Sunja sur le tatami de la pension. Le mot est posé, doux, constant et précis.
Pachinko est un train à vapeur sillonnant les contrées lointaines. Les wagons se succèdent avec à leur bord des personnages gravitant les uns autour des autres. Dans cette vaste épopée historique, la survie est le lot quotidien d’une généalogie hantée par ses origines. Une généalogie qu’il est parfois difficile de suivre avec à certains moments des bonds dans le temps trop rapides et a contrario des longueurs qui mériteraient plus de rythme. Un roman émouvant, riche et combattif qui gagnerait juste à équilibrer sa voilure.