Ce confinement aura révélé de jolis coups de cœur littéraires. Après Et toujours les Forets et Le Bal des Folles place à Mamie Luger de Benoît Philippon. Il fait partie du trio reçu dans le cadre du Prix des Lecteurs 2020 organisé par les Editions Le Livre de Poche. Les quelques lecteurs croisés sur Instagram n’en disaient déjà que du bien avant même que j’en débute la lecture.
Rien que la couverture prête à sourire, nous l’imaginons très bien cette mamie Luger, plus toute fraîche, pince sans rire, ce regard en biais derrière ses triples foyers, ce petit rictus ironique aux lèvres, sa robe rapiécée, ses larges mains un tantinet rabougries, nous l’imaginons mamie Luger mais aurais-je pu deviner que derrière ses yeux rieurs se trouvaient autant de cadavres ? Absolument pas !
Résumé :
Six heures du matin : Berthe, cent deux ans, canarde l’escouade de flics qui a pris d’assaut sa chaumière auvergnate. Huit heures : l’inspecteur Ventura entame la garde à vue la plus ahurissante de sa carrière. La grand-mère au Luger vide son sac, et le récit de sa vie est un feu d’artifice. Il y est question de meurtriers en cavale, de veuve noire et de nazi enterré dans sa cave. Alors… Aveux, confession ou règlement de comptes ? Ventura ne sait pas à quel jeu de dupes joue la vieille édentée, mais il sent qu’il va falloir creuser. Et pas qu’un peu.
Son histoire à travers celle des cadavres
Tout commence en Auvergne. Les premiers chapitres sont fulgurants. Nous débarquons en pleine fusillade. Mamie Luger a aidé un couple d’amoureux et assassins, qui plus est, à prendre la fuite à bord de l’Audi du voisin au sol avec une balle dans les fesses. Qui est la tireuse ? Cette femme de 102 ans bien entendu. Elle est emmenée au poste de police et reçu par Ventura, Lionel de son prénom mais qu’elle prend un malin plaisir à appeler Lino. En salle d’interrogatoire, Mamie Luger doit s’expliquer.
Les premières minutes, elle maitrise la situation, plaide la surprise, la peur, l’ignorance, la vieillesse mais finit par fissurer sa carcasse, sa lourde artillerie tombe à ses pieds et elle commence alors à raconter son histoire. La sienne et celle des quelques cadavres enterrés dans sa cave.
Ouais, ben nous, les femmes, on n’a pas ce luxe d’avoir le choix. On est avant tout des pondeuses, et encore, quand on a la chance que ça marche ! Les couches et aux fourneaux ! Seulement moi, j’te dis que les temps ont changé et que j’veux de l’égalité, donc tu me paies un loyer.
L’histoire de Berthe Gavignol commence en 1914. Une vie entourée de deux femmes, sa mère et sa grand-mère Nana. Celle elle qui d’ailleurs lui donnera ce conseil avisé de viser l’entrejambe des hommes en cas d’intrusions non consenties. Nana c’est la survie. C’est la solitude d’une femme qui doit vendre son corps pour survivre et qui finit par produire sa propre gnôle dans la cave. A l’adolescence, Berthe est belle, sensuelle, bourrée de charmes. Elle le sait, elle en use et en abuse pour obtenir ce qu’elle souhaite : un mariage et une bonne situation.
Mais une histoire de femme avant tout
Mais voilà, les prémices de son féminisme se confrontent à la réalité patriarcale et rapidement elle va devoir régler le problème … à sa manière. Et des problèmes de ce type, Berthe va en rencontrer une sacrée pelletée jusqu’à Luther, l’âme sœur, la véritable passion, la flamme, la simplicité, le respect et la sérénité. Benoît Philippon nous projette donc dans le passé de Berthe, depuis les 1914 jusqu’à cet instant où elle se retrouve dans ce poste de police avec Ventura. Un va-et-vient constant qui offre de vraies respirations. Comme nous, au fil de l’histoire qu’elle nous raconte, Ventura s’attache avec prudence à cette mamie qui le fait passer par toutes les émotions : la pitié, la compassion, l’effroi, la surprise, l’amusement … Il lui fait comprendre que la peine sera lourde pour ce qu’elle a commis mais il n’y a à ce titre aucun enjeu et le lecteur le sait. Elle a 102 ans. Et plus grand chose à perdre.
Autant la maladie de sa femme lui faisait honte, autant ce notable respecté ne souffrait d’aucune barrière morale pour s’offrir la virginité de mineurs innocentes. L’homme représentait la Loi, mais Berthe ressentait le devoir civique de lui en rappeler quelques articles fondamentaux.
Cette veuve noire est captivante. En lisant, j’ai parfois eu la sensation d’être en colo autour d’un feu de camps, quelques chamallows grillés dans le gosier, à écouter une vieille dame nous livrer un conte. Ce fameux conte qui parlerait de la vieille maison décrépie, pleine de toiles d’araignées, aux carreaux cassés où vivrait une vieille sorcière, une « folle » que personne n’a plus vu depuis très longtemps. Et les enfants à la nuit tombée relèveraient le défi de toucher la poignée de sa porte. Mais Mamie Luger c’est bien plus qu’une histoire de femme. Benoît Philippon y aborde des sujets comme le racisme, la patriarcat, le viol, le féminisme, la liberté des femmes, l’égalité des sexes, la justice, l’équité, les classes sociales, l’avortement, la stérilité … C’est un roman policier sociale et humain. Il n’y a pas vraiment d’enquête. C’est Berthe qui, à travers son témoignage, livre les clés des différentes découvertes macabres au fond de la cave et à travers ces clés, elle livre un véritable message.
Mamie Luger de Benoît Philippon est à mettre sur la pile des livres à lire et relire, à prêter, à conseiller. Il est intelligemment écrit, drôle, caustique, ironique, bourré de bonnes diatribes. Il y a ce qu’il faut de supplices, de situations sanglantes, de coups, de violence pour s’inscrire dans la catégorie des livres policier mais pour autant Mamie Luger c’est bien plus que cela. C’est la mamie de toutes les femmes, celle qui protège, celle qui se sacrifie, celle qui ne recule devant rien pour faire valoir nos droits.
2 commentaires sur “« Mamie Luger » : un policier féministe où le coupable n’est pas celui qu’on croit”