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« Et toujours les Forêts » : Une fin du monde grise et poussiéreuse qui hante le lecteur de bout en bout

La voici la première claque de 2020 ! Je l’ai attendue, espérais qu’elle arrive tôt au tard. Le roman de Sandrine Collette, édité chez JC Lattès m’a livrée une belle droite, il m’a littéralement mise KO, il m’a fait pleurer, m’a mise dans un état de torpeur, d’inquiétude, de stress, de peur, d’espoir, d’attente, de joie, d’excitation, de réflexion … Oui rien que ça !

Résumé : Corentin, personne n’en voulait. Ni son père envolé, ni les commères dont les rumeurs abreuvent le village, ni surtout sa mère, qui rêve de s’en débarrasser. Traîné de foyer en foyer, son enfance est une errance. Jusqu’au jour où sa mère l’abandonne à Augustine, l’une des vieilles du hameau. Au creux de la vallée des Forêts, ce territoire hostile où habite l’aïeule, une vie recommence. À la grande ville où le propulsent ses études, Corentin plonge sans retenue dans les lumières et la fête permanente. Autour de lui, le monde brûle. La chaleur n’en finit pas d’assécher la terre. Les ruisseaux de son enfance ont tari depuis longtemps ; les arbres perdent leurs feuilles au mois de juin. Quelque chose se prépare. La nuit où tout implose, Corentin survit miraculeusement, caché au fond des catacombes. Revenu à la surface dans un univers dévasté, il est seul. Humains ou bêtes : il ne reste rien. Guidé par l’espoir insensé de retrouver la vieille Augustine, Corentin prend le long chemin des Forêts. Une quête éperdue, arrachée à ses entrailles, avec pour obsession la renaissance d’un monde désert, et la certitude que rien ne s’arrête jamais complètement.

Entre une histoire sociale, un conte et un roman catastrophe

Par où commencer. Le roman commence comme une histoire sociale. Nous suivons les premières années de vie de Corentin délaissé par sa mère, abandonné puis repris. Il est littéralement bringuebalé comme un vulgaire sac de toile trop lourd à porter par sa génitrice qui le reprend avec lui quand l’envie lui prend et le jette aussi sec à la moindre difficulté, à la moindre impatience. Nous prenons très rapidement en pitié Corentin et nous nous attachons tout de suite à lui. Désaimante, elle le laisse dans un foyer où il finit par se créer un cocon, une routine, une place avant d’être de nouveau enlevé par sa mère direction Les Forêts pour être vulgairement déposé devant la porte de son arrière grand-mère Augustine. Le roman commence comme une histoire sociale et se poursuit comme un conte. Cette bicoque au fond de la forêt pourrait passer pour une chaumière de sorcière. En réalité, dans mon souvenir, elle n’est pas vraiment décrite par l’auteure mais je m’en suis tout de suite fait l’image d’une cabane confectionnée de bric et de broc où tout tient par magie et où il ne suffirait que d’un souffle pour tout balayer.

Il traversa les Forêts sans un bruit. les feuilles ne craquaient pas sous ses pieds, elles étaient tombées en cendres. Les cailloux ne roulaient pas. Cuits par le feu du monde, ils émiettaient quand Corentin posait un pied dessus. Rien ne prévenait de sa présence, ni écureuil, ni merle, ni même une mouche minuscule qui auparavant lui aurait tourné autour jusqu’à le rendre fou.

Histoire sociale, conte pour finir sur un revirement apocalyptique. Le roman bascule, l’errance de cet enfant n’était qu’une introduction, que les prémices d’un plus grand dessein, d’un irrémédiable destin. Sans crier gare, Et toujours les Forêts glisse vers un roman où l’effroi guide chaque pas de Corentin. Une catastrophe survient. LA catastrophe qui frôle l’inexplicable, l’indicible, l’impalpable. Corentin n’a pas vu. Il a entendu. Sandrine Collette nous laisse dans l’inconnu. Comme le personnage principal, nous allons subir les conséquences de ce ravage sans jamais savoir ce qui s’est exactement passé. Dehors la terre n’est que désolation, nudité, consternation, ruine, détresse, ravage, tourment, souffrance … Il n’y a plus rien. Rien. Et toujours les Forêts, c’est le roman de la fin et du début, celui de la destruction avant que ne survienne la survie, la construction et la création.

Décrire un monde en cendre

Sandrine Collette réussit en plus de 300 pages à nous dépeindre un paysage en ruine, la détresse de Corentin sans jamais se répéter, sans jamais nous ennuyer, chaque page est une image, chaque page est une branche brûlée, chaque page est une terre de cendres, chaque page n’est que disparition. Elle a cette faculté d’écrire sur la fin du monde, sur le KO, l’absence, l’infiniment vide en renouvelant continuellement son vocabulaire. Elle fait des Forêts un personnage à part entière avec sa propre respiration, son propre souffle.

Corentin est un être brisé et nous le sommes également. Nous portons la croix avec lui. Corentin a pour objectif de regagner Les Forêts persuadé qu’Augustine est toujours là, qu’un tel endroit a forcément dû être épargné, mais plus ses pas se font lourds et plus il désespère de voir ce refuge si familier encore debout. En plus de nous décrire ce monde anéanti, ces cadavres brûlés, Sandrine Collette réussit à nous faire imaginer le monde d’après, avec ce petit brin d’herbe qui se bat pour pousser, ces quelques fleurs d’où jailliraient les couleurs d’après, l’odeur du pain fumant qu’on a oublié, le bruit du moteur d’une voiture qui nous propulserait à des kilomètres de là en un rien de temps. D’un rien, elle nous fait tout imaginer. Nous sommes dans la peau de Corentin, nous sommes cet homme qui doit tout reconstruire, nous sommes ses craintes d’être le dernier, de ne plus trouver de quoi se nourrir, de ne plus parler à personne, de vivre sans lendemain … Puis la vie revient … Ce chien, L’Aveugle, compagnon de route, Augustine, Mathilde, des enfants …

Ce roman m’a fait penser au livre Station Eleven d’Emily Saint John Mandel et au film Captain Fantastic. Le premier pour le côté post apocalyptique auréolé d’un monde à reconstruire, pour cette lutte pour sa survie, pour cette confrontation inéluctable entre ceux qui restent. Et le second pour la capacité d’adaptation des enfants, leur capacité à se mouvoir, à apprendre, à jouer et à rire quelques soient les situations.

Et toujours les Forêts est un véritable coup de cœur que je conseille les yeux fermés. Il faut juste être prêt à le lire, à l’absorber et à le digérer. Il faut l’apprivoiser avec lenteur et douceur pour assimiler l’amplitude des émotions que nous ressentons à sa lecture.

 

 

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3 commentaires sur “« Et toujours les Forêts » : Une fin du monde grise et poussiéreuse qui hante le lecteur de bout en bout

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