Comme je le disais sur Instagram il y a peu, je fréquente rarement les librairies, la première étant à près d’une heure de chez moi je ne peux m’y rendre aussi souvent que je le voudrais. Alors quand l’occasion se présente je fais le plein. La dernière fois à Die, lors d’un week-end express, nous repartons avec un livre saisi au hasard. Le titre Le poids de la neige et la couverture ont fait mouche. L’amoureux a eu la primeur de la lecture. Plusieurs fois par jour j’ai eu droit aux fameux « il est génial ! », « on a fait une bonne pioche », « il faut absolument que tu le lises après ». Heureusement, il n’a pas mis une semaine pour le terminer je m’y suis donc collée illico et sans attendre.
Résumé :
Dans une région lointaine qu’on imagine être celle des grands espaces, un village est cerné par la neige, privé d’électricité et de contact avec le reste du monde. Nous y trouvons deux hommes, à deux âges de la vie, contraints par le hasard ou le destin d’affronter ensemble le froid, la faim et l’ennui.
Une lecture étouffante, menaçante et terriblement dévorante
Le « je », notre personnage principal, dont nous ne connaitrons jamais le prénom, resort miraculé d’un accident de voiture. Miraculé mais physiquement très escamoté. Il est recueilli dans son village d’enfance où il se rendait pour voir son père – décédé. Ses soins sont lourds et demandent du temps. Temps que personne ne semble avoir. Il est donc décidé de le « transférer » sur les hauteurs, dans la montagne déjà bien enneigée, auprès de Matthias, un homme coincé là lui aussi et qui a trouvé refuge, après la panne d’électricité, dans une véranda. Il pourra s’en occuper et le soigner. Ainsi s’engage l’inépuisable temps qui passe, les jours qui s’enchainent et se ressemblent.
Un huis clos non sans zone d’ombre
Dans son roman, l’auteur entretient le mystère autour de nombreux éléments. Mystère plutôt perturbant au début puis on se rend vite compte que l’attention se porte ailleurs. Aussi l’abcence du prénom du personnage principal, celle d’une époque ou d’un lieu pour situer l’action passent rapidement au second plan pour laisser place à l’essence même du Poids de la neige : la solitude, l’enfermement naturel – les chutes en abondance empêchent notre héro blessé de sortir de son habitacle- la promiscuité, l’impatience, le rythme sacré des rituels qui sauvent les journées trop longues, l’impotence …
Des cristaux de neige longent la silhouette fuselée des arbres. Ils tombent en ligne droite dans un mouvement continu, léger et pesant à la fois. La neige grimpe jusqu’au bas de ma fenêtre et se presse contre la vitre. On croirait que le niveau d’eau monte dans une pièce sans issue.
Les chapitres sont courts entre 2 et 8 pages et introduits par des centimètres – « Soixante-dix-sept », « Cent cinquante et un », « Cinquante trois »- ainsi le lecteur suit au fur et à mesure de ces journées blanches la progression du manteau neigeux, croissant au pic de l’hiver puis décroissant quand enfin arrive le printemps, la délivrance des corps et de l’esprit. Ecrire des chapitres brefs, relater des journées de façon très succinctes, -mettre le bois dans le poêle, préparer le repas, panser les plaies, jouer aux échecs, lire, faire de l’exercice … – rapides, vives et rythmées associé à la mesure blanche accentuent la sensation d’étouffement, de claustrophobie, d’isolement que peuvent ressentir le binôme. Ils sont coincés ici non par choix mais par nécessité.
Dehors, les motoneiges ont laissé des sillons bleutés. Mais la neige a recommencé. Les flocons couvrent déjà les traces d’une mince couche de silence.
Détourner la frustration du lecteur
Matthias a atterri dans cette véranda aux installations bringuebalantes et douteuses au moment de la panne générale d’électricité dont nous n’en saurons pas plus, seulement qu’elle a saisi tout le monde, immobilisé la population et forcé certains à l’exode. A-t-elle touché la planète entière ? Juste cette région ? Quand a-t-elle eu lieu ? Pourquoi ? Que se passe-t-il dans les autres villes ? Autant de questions sans réponse. Christian Guay Poliquin réussit à titiller assez notre curiosité pour faire naître la frustration tout en détournant notre soif de savoir par la puissance de ce duo masculin et de leur situation.
Malgré tout, il distille un peu de ce monde extérieur en faisant intervenir des personnages secondaires. Ils représentent LA bouffée d’air, notre bouffée d’air à nous aussi lecteurs. Sur quelques lignes, nous saisissons la fraîcheur d’une autre vie, d’autres vies qui s’organisent et qui viennent de façon impromptue rendre visite à notre couple. Maria, Joseph, Jean, Jude … Autant d’habitants du village en contre bas qui apportent un peu de réconfort, les potins, quelques vivres ou de quoi se chauffer. Quelques minutes de chaleur humaine autour d’une tasse de café.
Ce roman m’a fait penser à Station Eleven de Emily St John Mandel. L’homme après un désastre privé de son confort moderne redevient un animal avec ses besoins primaires à assouvir peu importe le prix. L’environnement devient un danger permanent et la méfiance entretient l’instinct de préservation.
Le poids de la neige est une vraie belle découverte, une jolie surprise engagée et qui fait sens. Rien n’est gratuit avec Christian Guay Poliquin ni dans l’écriture et encore moins dans la structure du roman.