J’ai longuement hésité avant d’aborder cette expérience scénique ici. Les polémiques de ces dernières semaines, l’acharnement médiatique et social sur Bertrand Cantat ont laissé planer dans l’air une odeur amère. J’ai lu les articles, écouté les interviews, entendu s’exprimer les proches de Marie Trintignant, tenté de comprendre les arguments avancés par les « contre ». Je ne vais même pas essayer d’y apporter un avis, ni même de contre-argumenter, je vais simplement relater ce concert, tel que je l’ai vécu, le mercredi 14 mars à la Belle Electrique de Grenoble.
Je n’ai jamais été réellement fan de Noir Désir que j’ai découvert à la radio à la grande époque de « Le vent nous portera », « L’homme pressé » et « Un jour en France ». Je ne m’étais jamais attardée sur les albums, sur les textes, sur le personnage. Intéressée par l’actualité, j’avais bien entendu parler de l’affaire Trintignant sans y porter plus d’attention, jusqu’à ce qu’en 2011 j’aille voir « Des femmes », la pièce de Wajdi Mouawad présentée au Grand T à Nantes. Une trilogie de 7 heures d’après Sophocle. Une performance pour les acteurs qui évoluaient alors dans une mise en scène grandiose portée par la musique de … Bertrand Cantat lui-même à qui on avait confié les choeurs.
J’ai toujours beaucoup admiré le travail Wajdi Mouawad et ai d’ailleurs versé quelques larmes devant « Seul ». J’étais donc certaine de prendre une vraie claque. A l’entrée de la salle, les manifestants étaient déjà là avec leurs tracts. Je n’ai pas compris tout de suite. Je venais voir la dernière pièce de Wajdi Mouawad. Point. Ce fut 7 heures de magie. La tragédie grecque dans toute sa splendeur sublimée par une vague contemporaine assaisonnée de rideaux de pluie, de terre, de sable, de larmes … Un ensemble organique prenant aux tripes. 7 heures qui n’ont semblé durer qu’une heure. Une véritable expérience théâtrale qui reste gravée 8 ans plus tard.
Les premières heures, je n’ai pas vu Bertrand Cantat sur scène. J’ai vu un artiste avec une voix improbable capable des plus graves sonorités comme d’envolées à vous couper la chique. Il était là avec ses musiciens pour soutenir le propos le plus souvent en côté de scène. Et pourtant, parfois, sa présence prenait toute la place. Au moment de l’entracte, j’ai compris. J’ai fait le lien entre Bertrand Cantat et Noir Désir. Entre Bertrand Cantat et Marie Trintignant. Entre Bertrand Cantat et ces manifestants. J’ai vraiment découvert Bertrand Cantat et son talent ce jour-là. Et après.
« Qui sommes-nous pour censurer un projet artistique. Nous n’en avons pas la légitimité mais en même temps nous sommes conscients que le public peut être sensible à la présence de Bertrand Cantat sur scène, donc on a simplement pris grand soin de l’informer. Le public vient en connaissance de cause s’il ne veut pas le voir, il ne vient pas » Catherine Blondeau, directrice du Grand T à l’époque de la représentation.
Puis, quelques années plus tard, grâce à mon compagnon Benjamin, je redécouvre l’album Des visages des figures en omettant les titres phares et en me concentrant sur les autres : « Lost », « A l’envers à l’endroit », « L’appartement », « Des visages des figures » … Et me focalise avant tout sur le texte. De la poésie à l’état pur. L’impression que Bertrand Cantat, par son écriture et ses interprétations, réussit à saisir l’émotion la plus enfouie en chacun de nous, l’émotion la plus complexe pour la broyer et n’en faire qu’une bouchée. Un délice. De la dentelle à écouter comme on lirait un livre. Ne rien faire d’autre qu’écouter.
Des visages, des figures
Dévisagent, défigurent
Des figurants à effacer
Des faces A, des faces B
Appâts feutrés
Attrait des formes
Alors forcément quand Bertrand Cantat annonce une tournée pour son nouvel album, les billets sont achetés dès la mise en vente. S’en suit tout ce qu’on sait avec l’envie de n’y donner aucune valeur. Mercredi 14 mars. 20h15. A quelques mètres de l’entrée de la salle, les manifestants clament déjà leurs slogans à peine audibles. Ils nous sifflent. Plus de bruit qu’autre chose. Nous passons la sécurité en quelques secondes. A quelques minutes de sa montée sur scène, la tension que je pensais trouver à l’extérieur de la salle est en réalité à l’intérieur. L’ambiance est électrique, nerveuse. Je ne me mets pas dans la fosse mais en retrait et surplombe la scène, au cas où. Aucune envie de me gâcher le moment. Un perturbateur se fait sortir de la fausse quelques minutes après le début du concert. Sans compter un petit groupe émêché huant, réclamant des titres à tout va jusqu’à faire réagir Cantat : « Je t’aime bien hein … mais ta gueule ! ». Plus loin, au moment d’entamer le titre « Anthracitéor », posé, calme et magnifique, un brouhaha en fond le stoppe de nouveau : « Vous ne pouvez pas juste écouter la musique ?! « . Les dernières notes du titre se font entendre. Il sort de scène. Etait-ce prévu ? Toujours est-il que pendant quelques minutes je me demande si nous allons le revoir.
Je ne connais pas de lois qui pourraient m’éloigner de toi
Et la nuit, le silence sur le confiteor, mais
Je n’ai pas vraiment le choix d’ignorer ce je ne sais quoi
Qui luit d’un éclat entre l’anthracite et l’or
Retour. Avec « L’homme pressé ». Un écho à l’actualité du moment.
Ma carrière est en jeu
Je suis l’homme médiatique
Je suis plus que politique
Je vais vite, très vite
J’suis une comète humaine universelle
Sur scène, j’ai vu un artiste. Un véritable artiste. Capable de remonter sur les planches devant un public parfois sévère sans jamais perdre de sa fougue, de sa passion, de son envie de chanter, de clamer ses textes, de jouer sa musique. D’un point de vue purement scénique il n’ y a rien à redire. Sa voix, comme un cri dans la nuit, est bourrée d’empreintes, de blessures, de cicatrices. Son corps, dans une torsion de tous les instants, est lacéré, brûlé à vif et pourtant … Il est là et donne tout comme un dernier souffle avant de raccrocher le micro.
Sa dernière prestation ? Beaucoup le pense. Les artistes français avec ce talent, à l’état pur, comme une pierre taillée sur le vif, sans aucune retenue, sans faux-semblant, sont devenus rares. A croire que leur vérité dérange. Heureusement, il y aura toujours quelqu’un pour les écouter et apprécier ce qu’ils donnent. Parce qu’après tout, remuer les consciences, n’est-ce pas le propre de l’artiste ?
Mmmh difficile affaire que celle de Bertrand Cantat. Je te rejoins sur le chanteur, rare, puissant, intransigeant. Mais en l’écoutant, je n’arrive pas à oublier que par sa faute, la voix d’une artiste intense et unique s’est tu définitivement…
Comme la plupart des choses qui nous entourent, tout est une question de point de vue.
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Vaste débat ! Pas facile de faire la part des choses, de séparer sa vie personnelle de sa vie artistique et pourtant … Il faut reconnaître qu’il fait partie de ceux qui ont marqués leur époque, la scène musicale, malgré tout.
Des bisous ma Méla ! 😉 Et merci d’avoir inscrit tes mots ici.
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